Mjolnir: talks

Fonctions d'échange vitesse/précision dans le pointage manuel et dans la saccade oculaire
Jeudi 27 février 2014 à 14h, à l'IRCICA

La fonction d’échange liant la vitesse et la précisions du pointage manuel, formalisée par la fameuse loi de Fitts, a toujours intéressé l’interaction homme-machine (IHM). Qu’en est-il du pointage saccadique oculaire au cours duquel notre regard saute, en quelques dizaines de millisecondes, d’un point de fixation à un autre ? Pour l’IHM, à une époque marquée par la diversification explosive des besoins en matière de techniques d’entrées, l’intérêt objectif de ce type de pointage ne peut qu’aller croissant, et il paraît urgent d’en apprécier correctement les propriétés.

La littérature spécialisée n’offre que des réponses évasives, sinon contradictoires, à la question de savoir si la saccade oculaire, comme le mouvement de la main, obéit à une fonction d’échange vitesse/précision. Mais on observera que l’étude de la saccade oculaire et celle du pointage manuel ont été réalisées dans des paradigmes expérimentaux différents, en utilisant de surcroît des notions proprement incommensurables de vitesse et de précision : dans le cas du pointage manuel, un temps exprimé en secondes dépend d’une variable sans dimension (loi de Fitts) ; alors que, s’agissant de la saccade, on fait dépendre une dispersion mesurée en degrés d’angle d’une vitesse moyenne mesurée en degrés par seconde. Pour comparer les performances de pointage dont sont capables l’œil et la main, pourquoi ne pas utiliser les mêmes mesures de vitesse et de précision? Ce qui nous conduit à nous interroger sur la validité et la robustesse de nos définitions.

Je ferai valoir qu’en caractérisant de manière générale la vitesse du mouvement par sa durée moyenne, et la précision du mouvement par le coefficient de variation de l’amplitude, on satisfait simultanément trois exigences techniques auxquelles la littérature ne semble pas avoir prêté beaucoup d’attention: indépendance d’échelle, métrique de rapport, neutralité linéaire/angulaire. De fait nos nouvelles définitions permettent de représenter conjointement, sur le même graphique, des fonctions d’échange vitesse/précision obtenues avec des saccades de l’œil et des pointages de la main.

Je suggérerai avec quelques exemples que les données de la littérature, une fois converties dans le nouveau système de variables, dessinent un tableau remarquablement cohérent. Deux différences distinguent nettement la saccade oculaire du pointage manuel. D’une part la performance de l’œil l’emporte globalement sur celle de la main — dans une analyse du type théorie de l’information, on dira que le throughput est supérieur. Mais la saccade sacrifie drastiquement la précision au profit de la vitesse, l’œil se révélant à la fois beaucoup plus rapide et beaucoup moins précis que la main. En fait la flexibilité stratégique du système saccadique est presque nulle, le hardware neural nous interdisant de réaliser des saccades oculaires lentes et précises (alors que, comme chacun sait, nous sommes capables de ralentir à volonté nos pointages manuels pour gagner en précision).

Ces différences de capacité de performance et de stratégie entre la saccade de l’œil et le pointage de la main sont connues depuis longtemps. L’avantage du nouveau système descriptif est de nous permettre de visualiser ces différences directement et donc, en dissipant un certain nombre de malentendus, de les mieux comprendre ; et peut-être de nous faire progresser vers une compréhension synthétique des pointages oculaire et manuel, deux questions de recherche dont l’étude a traditionnellement relevé de communautés scientifiques disjointes.